mercredi 8 juillet 2009

De l'impossibilité théorique de vivre


Que moi, entre autres seuls, j'aie pu mettre en lumière
Les vaines distractions dont votre coeur comblait
Ses vanités, prouvait déjà qu'en fait de guerre
L'esprit nouveau s'élève en ce rien qu'on connaît.

On s'attache en changeant à toute conséquence...
Et puis le temps lassé laisse croire étranger ;
Chaque suite ou rupture est une révérence
Dans un cadre vécu à une éternité.

Quand nous aurions compris que nous sommes des hommes,
Faut-il qu'autant de Faust n'attendent qu'une mort ?
Dans la définition les présences assomment

Lorsqu'une éternité parmi d'autres on choisit
Car tout se vaut car rien ne vaut face à la nuit.














Mes vers ont l'habitude de résonner en moi comme s'ils annonçaient un courant, une période de pensée, plutôt que d'en résumer une ; c'est-à-dire qu'ils font naître la pensée qui les avaient cherchés pour se penser. Ce peut être, ceux-là, la matrice, métaphysique ou métalittéraire, de ma stagnation. Ici l'écrasante infinie bibliothèque, là l'infinie promesse de vide - l'être toujours en puissance que je suis ainsi également cerné par les étendues de la parole et du silence. Je sais que connaître cette position dérisoire est un signe et une condition de l'intelligence, et peut-être de l'empathie ; je ne sais pourquoi je suis le seul à en souffrir.

On ne peut rien, on ne peut pas choisir, car toute décision demande l'éternité, pour envisager la durable succession des conséquences jusqu'à leur évanouissement dans le nombre et la bâtardise, pour envisager s'assurer de l'effectivation du choix - en somme pour s'assurer de l'intérêt d'influencer à son échelle son propre destin. Avec la mort à l'oeil, tout choix de voie, tout choix de soi, ressemble au choix du côté où se pencher pour échapper au feu des balles. Chaque décision humaine est une acceptation que ses effets soient limités - dans le temps au sein de la vie humaine, dans l'espace au sein de l'espèce humaine ; chaque pamphlet se destine à l'académisme, ou y consacre ce contre quoi il s'élevait ; chaque subversion sait qu'elle sera retournée à son tour par la marche des pensées au fil de l'histoire ; chaque acte est vaguelette ; la puissance ineffectuée reste belle.

Ce n'est pourtant pas tant d'être emporté dans le temps avec l'infinité d'autres fétus infinis, mais que cette infinité me manque, qui m'effraye : c'est qu'elle m'échappe, qu'elle me soit donnée à voir et refusée à posséder, et que cette intouchable apparition soit définie et acceptée comme l'ingrédient primordial de l'histoire commune et personnelle.

Et je n'ai pas de rêves, car on demande au rêve de guider le chemin : si l'on sait que le chemin s'arrête, qu'il n'y a que des impasses, comment se projeter, comment vouloir, comment attendre, et quelle importance ? On espère, tout au plus.

Je m'entoure alors de solitudes qui peuvent penser l'être sans étouffer, d'odieux acceptateurs de l'état des choses, qui me font oublier que je ne l'accepte pas, et que je rejoins parfois, par le désir ou par l'alcool. Je les regarde, insondable, étonné, ne pas partager ma noirceur, je les vois évoluer parallèlement à moi, et de leur incompréhension sincère, du fait même que mon chemin s'effrite alors que le leur vaillamment se poursuit à côté en direction de sa chute, je déduis qu'il faut bien que cette douleur, contre toute attente, n'appartienne qu'à moi ; car sinon la paralysie serait la norme.

Naturellement, la différence se faisant distinction, je finis par tirer fierté et réconfort de cette noirceur, la fierté ridicule et forgée de mépris de l'esprit romantique pleurant, face à la lune, le trop et le trop peu, l'encore et le déjà, la cécité des hommes et la marche du monde.