lundi 10 décembre 2007

Longtemps, je me suis coupé du bonheur

Je n'arrive pas à m'intéresser à l'histoire ou à la géographie parce que je ne vois pas pourquoi il faudrait parler du passé pour expliquer le tout, ou pourquoi l'avant et l'ailleurs seraient plus intéressants ou pourquoi même il y aurait plus de choses dans une Histoire ou une planète que dans tout infime instant. Je n'arrive pas encore à me lasser des perceptions qui tourbillonnent les sens les essences, je suis souvent incroyablement fasciné par le crayon qui crée, à partir de presque rien, tant de lignes, et par le geste qui fait les mots, je ne m'y suis jamais habitué. Les cohues sont subjuguées par ces quelques circuits qui en font des millions au travers les mondes, mais la feuille qui fut blanche et qui contient tout, c'est à ça seul que je ne me ferai jamais. Et même en face de moi il y a là une table, une fenêtre, deux napperons quelques bougies, un de ces arbustes curieux, décharnés et biscornus, dont je n'ai jamais su le nom, celui-ci se tord vers la lumière de la pluie et il y a là un dessin, un tableau, un film, un rêve, une musique ou mille sur le bord, une explosion de quelque chose, même pas d'envers de décor. Le caillou au-delà, poli, n'est rien d'autre qu'un diamant et pourtant m'émerveille.

Je m'émerveille si facilement peut-être parce qu'il n'y a jamais eu de promesse d'émerveillement, parce que rien n'a jamais été loin, parce qu'on m'a tout montré. Je me rappelle assez bien des journées entières à regarder l'eau des nuages couler sur une vitre, aussi précisément, c'est-à-dire aussi diffusément, que celles à sentir l'eau du Mê Kông couler sous la barque, et il y avait la même vie dans ces gouttes tristes au bleu caché que dans la tempête boueuse enfermée sous la surface (*). Je m'en souviens si mal, de ces temples, de ces pagodes. Angkor même, et ses éclatants hybrides de pierre et d'arbre aztèque. Non, c'est faux, Angkor est déjà à part, déjà à Angkor je savais regarder, déjà je savais voir et je savais qu'il fallait voir, et je l'ai vu tel que personne ne pourra plus le voir. Mais jusqu'à un peu avant tout participait du même émerveillement, continu, rayonnant, les variations n'avaient lieu que par les émotions partagées. Je n'ai compris que bien plus tard pourquoi mon parrain m'en avait tant voulu d'avoir esquivé plusieurs visites de temples de son pays, et lui n'avait pas compris que je n'y aurais rien trouvé de plus qu'en attrapant quelques pokémons avec mon frère.

C'est l'Asie du Sud-Est aussi qui m'a donné l'habitude de voir et d'être regardé. Je ne sais si j'ai jamais été un enfant modeste ou discret. Je ne sais pas vraiment si en classe je savais que je trônais, et que c'était ce que j'y aimais. Mais c'est là-bas, au Viêt Nam surtout, en marche ou en pousse-pousse, ou partout ou en voiture aux rares feux rouges des villes en sable, que j'ai été donné à regarder, qu'il m'a été dit que je devais l'être, et même plus jeune encore tout le monde voulait toucher ma peau, j'étais blanc si blanc, blanc de marbre, d'albâtre, albe atroce, Albatros, exilé sur le sol au milieu des nuées je n'étais pas encore heureux d'émerveiller, les merveilles étaient calmes et frémissantes et j'avais peur des regards dressés contre les miens. Ce bonheur d'émerveiller je ne crois pas le connaître aujourd'hui. D'ailleurs j'ai vendu mon blanc terrifiant contre un peu de chaleur : je ne suis plus que pâle.

Il y a eu un instant où l'émerveillement n'était plus si systématique et évident et où je n'avais pas encore peur de la mort. Ç'a été l'instant où j'ai eu le plus besoin des autres, où j'attendais d'eux, où donner ne suffisait pas.

Mais j'ai vu le plus bel endroit de la terre, j'y suis retourné, j'y reviendrai. C'était au Viêt Nam encore, et je n'ai pas dormi pendant deux semaines pour contenir le débordement d'émerveillement, j'implosai, je retrouvai l'immensité naïve, je tentai sans succès de me rattacher à la tristesse réconfortante, je me débattais chaque aube, j'ai tout embrasé en moi pour résister à l'holocauste sublime et je n'ai pas résisté, j'ai tout perçu, j'ai tout percé à nouveau dans le jour. Je veux retourner à Nha Tran, en face, sur l'île de Ninh Van.



(*) Je viens de lire L'Amant

12 commentaires:

Ewan a dit…

Salut. C'était juste pour te conseiller de mourir. Voilà. Cisou, Biao.

Mais non. Je t'ai dit d'abandonner les jeux de mots... non ? Je te conseillerais aussi de ne pas tomber dans la facilité du délire onomastique. Bite.

Javou lé lé, peut-être que je ne te l'ai pas dit. Est-ce castor si j'habitais à côté. Sylvain joule et les Iduméens se porteraient mieux et y'aurait la sodomie. J'ai du mal à imaginer plus de deux jours et ton visage allongé et ton corps allongé, je veux dire étendu, je veux dire long, mais pas couché non non je parlais pas du tout d'horizontalité.

10€ c'est Cher pour un si petit petit livre.

a.A.a.À -|-

Ewan a dit…

Je sais que tu pistes la moindre agressivité dans mes phrases, le moindre rabais. Tu as bien tort ! On dit je t'aime aux gens pour les TROMPER !!!!!!

Ewan a dit…

Je me souviens du jour où je suis tombé sur ton blog. Je n'avais pas mangé de saucisson depuis plusieurs mois. C'était un jour marquant.

Je me suis dit qu'un jour, nous égraisserons ensemble tout un saucisson. On le couperait en rondelles puis on épépinerait les glissants morceaux de blanc, qu'on mettrait en tas et qu'on ferait fondre plus tard, et on dévorerait le rouge asanguinolent, mort depuis bien trop longtemps. Que tu aimes le saucisson peu importe, car on y adjoindrait force cornichons !

Anonyme a dit…

Bien vu pour albe atroce !

Mais le vers, c'est : "au milieu des huées", pas "des nuées".

Toujours est-il que j'aime bien :D

Jilian Essandre a dit…

Jordi> oui, oui, je sais, mais dans ma sublimitude poétique que je suis trop un ouf, je me permets d'adapter baudelaire :D

Ewan> "on dit je t'aime aux gens pour les tromper", d'ailleurs je prévois de te tromper

Ewan a dit…

Jordinette > Avant de corriger les gens tu ferais milieu de pelleter devant ta cochère, albatros ça s'écrit comme ça. Et puis une moue haitte aussi non ? Et un Cauet lent, et un corme haurengs, et un jeep à ettes !? Et puis un fou de Bassan tant cogner !!

Jilian > Remets cette table sur ses pieds et cesse de me tromper.

Ewan a dit…

Ptain j'ai trop envie de faire caca, mais comme j'ai trop l'âme poétique en ce moment je suis censé pas avoir d'intestins... depuis dimanche ça dure.

J'aime bien quand c'est bientôt minuit parce que ça veut dire que je vais pouvoir me coucher. Ah c'est bien agréable de se glisser sous la couette avec ses mains. Ah c'est bien agréable de passer le réveillon de Noël seul et le Jour de l'An aussi. Ah c'est plaisant.

Shifted a dit…

Jilian, juste pour info, je crois que le monsieur de l'en-tête a été décapité. C'est dommage, parce qu'il était tout choupi.

Pour le texte, je pense que t'avais envie de retranscrire quelque chose, sur le vif, ce qui fait du bien, je crois, mais ne rend pas forcément joli. De mon point de vue, je me dis que c'est pas très grave, le but c'est de se relire et de retrouver ce qu'on ressentait à ce moment-là, mais de ton point de vue, ça va peut-être te vexer (ou non, car tu es un être étrange) mais faut pas, faut pas.

Pour le jeu de mot, tu peux te la jouer incompris, perso j'ai rien calculé. Ca sniffe la référence, mais la référence que j'ai pas.

Ewan> Ca, à force d'être méchant... (au fait, la tonne de messages, c'est de l'obsession ou de la dépression? Ou alors de la joie de vivre, mais en bizarre? Enfin, il faut que j'arrive à interpréter, ça me turlupine (haha) :/)

Jilian Essandre a dit…

Blacky> wé, ya deux jeux de mots, c'est subtil et distingué, mais je me sens souvent incompris avec mes jeux de mots subtils et distingués, j'attends encore qu'on trouve certains de mes autres posts, mwuhuhu. Je dois être un précurseur du genre humain. Ou alors c'est juste nul, j'hésite. Enfin je t'expliquerai, douce amie au coeur jaune.

Et si, je suis un peu vexé, mais c'est vrai que ce texte est bof. (Ce texte me fait pas franchement "du bien" j'avais rien de spécial à extérioriser) Pas facile de raconter des états d'esprit sans que ça fasse états d'âme, des états d'âme sans que ça fasse mal-à-mon-âme... enfin, tant qu'on passe pas par mille métaphores surréalistes, auquel cas tu peux dire oh bah le ciel est pas bleu et tout le monde kiffe parce qu'il comprend à moitié et s'y retrouve de l'autre moitié, eheheh.

Je vais essayer de réparer le naruto de l'en-tête, merci pour la préveniture! Quant à Ewan chéri, je sais pas s'il déprime vraiment mais avec autant de messages à son actif en si peu de temps il se fait indéniablement chier comme un rameur. La table se joint à moi pour lui adresser un salut distrait, nonobstant intrigué.

Sabotage a dit…

La bannière est cent fois plus propre qu'avant...

Anonyme a dit…

Ouais ben moi j'aime ce texte.

Jilian Essandre a dit…

Merci =)
Le fait est qu'il est bizarre.