23-30 décembre
Contrairement à tous mes préjugés, le non-dépaysement est venu non pas de ce que Dubaï ressemble à toute autre capitale de pays chaud et le cinq étoiles à tout autre cinq étoiles, mais de ce qu’on y retrouve tout ce qui ne fait pas le charme de Paris transplanté dans une carte postale de mauvais goût. Le service fait constamment preuve d’une remarquable impéritie : il y a, dans cette activité manifestement effrénée de dizaines de petits êtres a priori formés et payés à l’effectuer, et surtout dans le résultat prodigieusement inexistant qui ne manque pas de s’en dégager, quelque chose d’admirable, d’hypnotisant, d’amusant même tant qu’on ne cherche pas avec lassitude un lit à trois du, au sortir de l’avion. Les aéroports étant de toute façon, à part les thaïs, des foutoirs interstellaires, je ne m’étonnai tout d’abord pas de pulvériser tous les records d’attente après l’atterrissage dans celui-ci plutôt qu’un autre, surtout dans un pays aussi gaiement policé ; à l’opposé, encore une fois, de tout ce à quoi je m’attendais, les salles entières organisées pour recevoir les files d’attente n’avaient pour finalité que de permettre le foisonnement improductif d’officiers en costume traditionnel, qui conversaient joyeusement entre eux, sortaient se promener entre les guichets, s’amusaient de l’accent des touristes, pour finalement ne jeter qu’un coup d’œil vague sur leur passeport. Mis à part les minuscules aéroports de l’intérieur du Viêt Nam, je n’en avais jamais vu qui ne rende pas obligatoire le passage des sacs aux rayons X ; je mis d’autre part un certain temps à comprendre que les employés en blanc qui marchaient ne surveillaient rien, non, ils marchaient. Et le tout aussi peu découverts que leurs femmes, de sorte qu’il n’y a ici strictement rien à mater, que leurs montres exhibées, et les touristes.
Heureusement, en étant, nous les suivons. Déjà à l’enregistrement à Paris, un charmant blond en slim noir trop large, que j’ai suivi jusqu’à l’embarquement. Vans, mais magnifique mouvement de chevelure, à seize ou dix-sept ans il aura une coupe seizième. Dans le taxi vers l’hôtel, une petite belge de mon âge, haut moulant rouge et cheveux lissés, que l’attente de ma mère fumant exaspérait adorablement. Et de l’autre côté de la terrasse, près de la piscine, le jeune garçon que je dirais allemand à l’entendre – mais pourquoi pas polonais, ce serait un comble –, la peau pure, un peu mate, le soleil couchant s’en pourlèche ; je l’observe à demi au travers des feuillages, pour ajouter à son innocence. Sa cambrure parfaite, le ciel qui s’y écoule clair comme ses yeux vers ses parents qui le distraient de quelque niaiserie, sa bouche trop rouge s’entrouvrant trop à rire, ses cheveux d’or foncé que l’humidité frise réveillent malgré tout l’image de la pomme. Cet écart du monde, cette caresse dans l’air, ce benêt allégorique de lui-même, trop jeune encore pour que même moi je le Veuille, ne serait-ce pas le bonheur infini que d’obéir à chacun de ses commandements dépourvus de sens, de lui offrir ses tourments et ses morts, d’envahir sous ses ordres et succomber surtout, jusqu’à ce que par superbe caprice il nous éventre par centaines de son sourire éclatant ?
Je continue à le regarder avec abandon. Sans compter que j’ai bien moins la mine d’un pervers que, par exemple, le russe ventru là-bas qui persiste à lancer ses deux filles dans l’eau dans un immonde ballet freudien, l’ange est après tout face à ma suite, laquelle donne immédiatement sur le plein milieu de la gigantesque piscine, et c’est donc tout naturellement que je la considère comme ma piscine. Mais chasser les intrus reviendrait à leur adresser la parole, et j’emploie déjà toute ma force à activer ma mélanine. Et puis, ça me permet de les mépriser à loisir, ce dont j’ai bien besoin pour compenser tous les défauts de cet hôtel. Je suis sans cesse atterré par le niveau de l’installation et du service : l’équipe de ménage ne fait pas la terrasse, c’est à deux mètres à l’extérieur de la salle de bains que les interrupteurs en sont stupidement placés, il n’y a pas de luminaire de plafond, dans aucune chambre, la baie vitrée donnant sur la terrasse ne ferme pas complètement, il n’y a pas de lecteur dvd (!!!), pas de peignoirs, pas grand-chose dans le minibar… autant d’imperfections qui s’ajoutent à la formidable contre-productivité de toute le personnel, dont je ne parviendrais jamais à détailler toutes les aberrations – mais enfin il leur faut quarante minutes pour presser un citron et deux mangues, non mais c’est quoi leur problème ? Tu leur demandes un cendrier, ils vident le plus proche – limite par terre – et te l’apportent ; une bouteille quelconque, tu as le droit à deux verres, le troisième boit au goulot je suppose ; quelque victuaille, et jamais il ne leur viendra à l’idée d’apporter des serviettes sur le plateau. Crise de fou rire avec mon frère et ma mère lorsqu’en tentant de commander un kir royal un serveur me répond qu’il n’en reste plus, et me propose, à la place, du champagne…
Pour leur défense, les autochtones (Dubaïais ? Émiratiens ? Arabes Unis ? je ne sais pas au juste et je m’en fous) ne sont pas les seuls à perturber ma quiétude, bien qu’ils y mettent indéniablement tout leur cœur (en installant les tables pour le dîner du restaurant d’à côté dès midi en les raclant consciencieusement sur le sol dallé dans un sens et dans l’autre pendant trois bonnes heures). Il y a souvent, notamment, au bord de la piscine, deux grands gamins bodybuildés qui participent largement au bordel ambiant par l’expression exubérante d’une gaieté de nouveau couple de nouveaux riches. Ils m’ont l’air roumains mais ils seraient même yougoslovaques que ça n’entamerait pas le froncement affolant des fesses fermes au possible au-dessus de leurs maillots de prolétaires, ou les monumentales colonnades bronzées de cuisses au-dessous. S’ils me prenaient sur-le-champ d’un seul coup, l’un ou l’autre ou à la fois qu’importe, je les mépriserais sans doute un peu moins. Le plus musclé, épilé et bronzé des deux, que je trouvais sexy jusqu’à ce qu’il éclate de rire, a cependant une façon de tenir sa clope en se penchant sur le côté qui me laisse penser qu’il aime se faire enculer. L’autre verrait alors peut-être un peu excusées ses casquettes repoussantes.
Toujours est-il qu’ils font beaucoup de bruit, et qu’ils sont plutôt ridicules à s’éclabousser ainsi. Si une seule goutte de cette eau froide m’atteint, je leur balance mon champagne à la gueule. Mais voilà Tadzio qui va entrer dans l’eau : il se prépare, hésitant, frémissant à l’idée de ne pas y être assez au chaud mais mourant d’envie d’y plonger ; en tremblant il se mouille encore un peu, pousse un petit cri, se retire… Il se secoue à nouveau, effleure la surface ; puis l’envie est trop forte et il y pénètre d’un seul coup. Mon regard voilé suit ses va-et-vient passionnés, jusqu’à ce qu’il jaillisse en dehors, s’essuie, se rhabille et me quitte. Je le reverrai demain…
D’ici là, séance shopping à l’un des malls les plus proches : le difficile est de ne pas se jeter sur ce qui soudainement a l’air un peu moins laid que le reste. Sérieusement, qui vient faire ses courses ici ? La plupart des frusques ne sont même pas mettables, ou alors d’une sobriété telle que les hommes d’affaires doivent passer leurs vacances à acheter les fringues qu’ils sont bien heureux d’être obligés de mettre le reste de leur vie, n’ayant pas le goût requis pour en choisir d’autres. Il n’y a pas un chat, du reste. Deux ou trois burkas tout au plus. Je déniche quand même un haut rouge assez craquant, une paire de Diesel – je suis entre deux pointures, comme d’habitude, mais elles sont vraiment mignonnes – et un sweat à capuche qui m’aurait rendu tout simplement à violer sur place si là encore ils avaient la bonne taille, hallucinant à quel point ils n’ont aucun stock, tant pis je le prends quand même, je le ferai rétrécir.
Petit frère par contre n’a rien trouvé du tout – il est vrai qu’il est encore plus emo que moi, c’est-à-dire plus punk-pédale que goth-fashion, aussi ne porte-t-il que des fringues de groupes / à rayures / noires ; cela dit il met énormément de Celio aussi, plus que de raison en tout cas – je ne le comprends que juste assez pour pouvoir lui voler ses plus beaux ensembles. Ça, et le fait que ma mère et moi déployons cette semaine tout notre potentiel de langues de putes envers le manque de politesse, d’efficacité et de bon sens élémentaires des employés divers, lui fournissent des prétextes pour justifier aux yeux de notre bien-aimée mère-poule son air de déprime. (Parce que contrairement à moi, petit frère a hérité de la profonde gentillesse de maman, tandis que j’ai obtenu la susdite langue de pute, et ne supporte pas que l’on dise du mal des gens.) Je suis sûr qu’il déprime : lui qui, déjà habituellement, est sujet à un perpétuel recroquevillement plutôt déroutant, que n’arrange en rien sa coupe à un œil, se montre très renfrogné depuis le repas de Noël ; quelque appel et caprice ou larme de sa copine lui aura porté le vague à l’âme – pas très longtemps heureusement. À noter que la fille en question est fan de Tokio Hotel ; il n’en résulte jamais rien de bon. Ou bien me trompé-je complètement et il est vraiment gay, après tout je ressemble autant à mon parrain qu’il ressemble à son mec, et alors cela explique tous ses transports pour les chanteurs emo bien plus clairement.
Le dîner de Noël aurait de toute façon déprimé n’importe qui, même si la bouffe est ici plutôt bonne (si l’on excepte évidemment ces fruits qui ont l’apparence du melon, la consistance de la pêche et la saveur exacte du vomi, mais que l’on rencontre de toute façon au moins une fois par hasard, par inadvertance et par séjour dans un pays tropical), et bien que la farandole de renforts de serveurs en livrée rouge pour l’occasion suscite chez moi un amusement certain. Le petit orchestre s’apprête à m’ennuyer de nouveau, je sens que je vais entendre Besame Mucho une troisième fois… Et mon éromène est beaucoup moins joli avec des vêtements. Tout m’afflige, etc. (Je suis là de fort mauvaise foi mais la mort de Julien Gracq, et son timing désastreux aussi bien pour les fêtes que pour les concours, m’a laissé un goût amer, et aucun foie gras pour me l’enlever.) Ce dîner aura au moins eu le mérite de voir arriver une famille de scandinaves : deux fils aux attitudes de footballers ; l’aîné, blond – encore – a des cheveux superbes bien que courts, une cravate à damiers qui fait pâlir mon frère, et une coupe risquant de dégénérer en mulette du pauvre mais pour l’instant très savoureuse. Ils sont laids, par contre. Le lendemain, je les rencontre au bord de la piscine: la désillusion est vite réparée par les lunettes de soleil, qui font parfaitement illusion.
Amusant d’ailleurs de constater combien des Ray Ban ou des Dior rendent la plupart des gens hautement regardables. Les miennes ne me servent que pour maintenir mes cheveux en arrière, pour faire bronzer le front – et oui, pour sécher l’acné. Aux côtés de tant de laids, je me sentirais beau. Je méprise à tour de bras, avec mon jus de citron. Il faut dire que je suis sur Le Rouge et le Noir, et qu’outre la prose de Stendhal que je n’aurais pas assez de prose pour décrire, Mathilde de la Mole réveille en moi toute la Narcissa Malfoy que les fanfictions recréèrent : je me sens très aristocrate. J’en vouvoie Mère.
Il vaut mieux pour tout le monde que le soleil demeure, y compris pour nos hôtes, qui sont parvenus à paraître mille fois plus pitoyables et risibles qu’à l’ordinaire lors d’un court passage de pluie. Je ne détaillerai pas tout le déconcertant de leurs manières lorsqu’ils laissent les transats se tremper et pensent les faire sécher ensuite en tapant dessus. Mais la panne d’électricité qui survint quelque trois heures après la fin de cette averse même pas tropicale nous donna l’occasion de faire la connaissance d’un électricien très singulier, qui fut charmant, beau, et dont l’anglais pour une fois parfait s’agrémentait d’une voix et d’un accent identiques à ceux de Mohinder Suresh ; ce qui fit presque oublier qu’il était venu en expliquant la panne par l’infiltration de l’eau de pluie dans les circuits électriques, fait assez peu rassurant somme toute pour un cinq étoiles – qui décidément ne les mérite pas.
Mais pluie ou pas, après cinq coupes de champagne, je suis toujours fort triste de n’avoir personne à caresser et à qui dire je t’aime. Stendhal décharge ces transports. Et si ma prose est véritablement loin de valoir ses mots, elle n’a guère à apprendre de celle de Nerval: je lis Les Filles du Feu sur le retour, et après ceux de Richard Marienstras et Tristan L’Hermite, c’est de ceux que je connais le livre le plus navrant et le plus ennuyeux.
À part ça, les avions de Emirates sont fantastiques, il y a notamment un choix prodigieux de films dont on peut contrôler le déroulement par écran tactile (ce que je n’avais jusqu’alors jamais cru envisageable en vol) : avec High School Music Hall 2 à l’aller et Hairspray en rentrant, je suis doublement fou amoureux de Zac Efron.
Heureusement, en étant, nous les suivons. Déjà à l’enregistrement à Paris, un charmant blond en slim noir trop large, que j’ai suivi jusqu’à l’embarquement. Vans, mais magnifique mouvement de chevelure, à seize ou dix-sept ans il aura une coupe seizième. Dans le taxi vers l’hôtel, une petite belge de mon âge, haut moulant rouge et cheveux lissés, que l’attente de ma mère fumant exaspérait adorablement. Et de l’autre côté de la terrasse, près de la piscine, le jeune garçon que je dirais allemand à l’entendre – mais pourquoi pas polonais, ce serait un comble –, la peau pure, un peu mate, le soleil couchant s’en pourlèche ; je l’observe à demi au travers des feuillages, pour ajouter à son innocence. Sa cambrure parfaite, le ciel qui s’y écoule clair comme ses yeux vers ses parents qui le distraient de quelque niaiserie, sa bouche trop rouge s’entrouvrant trop à rire, ses cheveux d’or foncé que l’humidité frise réveillent malgré tout l’image de la pomme. Cet écart du monde, cette caresse dans l’air, ce benêt allégorique de lui-même, trop jeune encore pour que même moi je le Veuille, ne serait-ce pas le bonheur infini que d’obéir à chacun de ses commandements dépourvus de sens, de lui offrir ses tourments et ses morts, d’envahir sous ses ordres et succomber surtout, jusqu’à ce que par superbe caprice il nous éventre par centaines de son sourire éclatant ?
Je continue à le regarder avec abandon. Sans compter que j’ai bien moins la mine d’un pervers que, par exemple, le russe ventru là-bas qui persiste à lancer ses deux filles dans l’eau dans un immonde ballet freudien, l’ange est après tout face à ma suite, laquelle donne immédiatement sur le plein milieu de la gigantesque piscine, et c’est donc tout naturellement que je la considère comme ma piscine. Mais chasser les intrus reviendrait à leur adresser la parole, et j’emploie déjà toute ma force à activer ma mélanine. Et puis, ça me permet de les mépriser à loisir, ce dont j’ai bien besoin pour compenser tous les défauts de cet hôtel. Je suis sans cesse atterré par le niveau de l’installation et du service : l’équipe de ménage ne fait pas la terrasse, c’est à deux mètres à l’extérieur de la salle de bains que les interrupteurs en sont stupidement placés, il n’y a pas de luminaire de plafond, dans aucune chambre, la baie vitrée donnant sur la terrasse ne ferme pas complètement, il n’y a pas de lecteur dvd (!!!), pas de peignoirs, pas grand-chose dans le minibar… autant d’imperfections qui s’ajoutent à la formidable contre-productivité de toute le personnel, dont je ne parviendrais jamais à détailler toutes les aberrations – mais enfin il leur faut quarante minutes pour presser un citron et deux mangues, non mais c’est quoi leur problème ? Tu leur demandes un cendrier, ils vident le plus proche – limite par terre – et te l’apportent ; une bouteille quelconque, tu as le droit à deux verres, le troisième boit au goulot je suppose ; quelque victuaille, et jamais il ne leur viendra à l’idée d’apporter des serviettes sur le plateau. Crise de fou rire avec mon frère et ma mère lorsqu’en tentant de commander un kir royal un serveur me répond qu’il n’en reste plus, et me propose, à la place, du champagne…
Pour leur défense, les autochtones (Dubaïais ? Émiratiens ? Arabes Unis ? je ne sais pas au juste et je m’en fous) ne sont pas les seuls à perturber ma quiétude, bien qu’ils y mettent indéniablement tout leur cœur (en installant les tables pour le dîner du restaurant d’à côté dès midi en les raclant consciencieusement sur le sol dallé dans un sens et dans l’autre pendant trois bonnes heures). Il y a souvent, notamment, au bord de la piscine, deux grands gamins bodybuildés qui participent largement au bordel ambiant par l’expression exubérante d’une gaieté de nouveau couple de nouveaux riches. Ils m’ont l’air roumains mais ils seraient même yougoslovaques que ça n’entamerait pas le froncement affolant des fesses fermes au possible au-dessus de leurs maillots de prolétaires, ou les monumentales colonnades bronzées de cuisses au-dessous. S’ils me prenaient sur-le-champ d’un seul coup, l’un ou l’autre ou à la fois qu’importe, je les mépriserais sans doute un peu moins. Le plus musclé, épilé et bronzé des deux, que je trouvais sexy jusqu’à ce qu’il éclate de rire, a cependant une façon de tenir sa clope en se penchant sur le côté qui me laisse penser qu’il aime se faire enculer. L’autre verrait alors peut-être un peu excusées ses casquettes repoussantes.
Toujours est-il qu’ils font beaucoup de bruit, et qu’ils sont plutôt ridicules à s’éclabousser ainsi. Si une seule goutte de cette eau froide m’atteint, je leur balance mon champagne à la gueule. Mais voilà Tadzio qui va entrer dans l’eau : il se prépare, hésitant, frémissant à l’idée de ne pas y être assez au chaud mais mourant d’envie d’y plonger ; en tremblant il se mouille encore un peu, pousse un petit cri, se retire… Il se secoue à nouveau, effleure la surface ; puis l’envie est trop forte et il y pénètre d’un seul coup. Mon regard voilé suit ses va-et-vient passionnés, jusqu’à ce qu’il jaillisse en dehors, s’essuie, se rhabille et me quitte. Je le reverrai demain…
D’ici là, séance shopping à l’un des malls les plus proches : le difficile est de ne pas se jeter sur ce qui soudainement a l’air un peu moins laid que le reste. Sérieusement, qui vient faire ses courses ici ? La plupart des frusques ne sont même pas mettables, ou alors d’une sobriété telle que les hommes d’affaires doivent passer leurs vacances à acheter les fringues qu’ils sont bien heureux d’être obligés de mettre le reste de leur vie, n’ayant pas le goût requis pour en choisir d’autres. Il n’y a pas un chat, du reste. Deux ou trois burkas tout au plus. Je déniche quand même un haut rouge assez craquant, une paire de Diesel – je suis entre deux pointures, comme d’habitude, mais elles sont vraiment mignonnes – et un sweat à capuche qui m’aurait rendu tout simplement à violer sur place si là encore ils avaient la bonne taille, hallucinant à quel point ils n’ont aucun stock, tant pis je le prends quand même, je le ferai rétrécir.
Petit frère par contre n’a rien trouvé du tout – il est vrai qu’il est encore plus emo que moi, c’est-à-dire plus punk-pédale que goth-fashion, aussi ne porte-t-il que des fringues de groupes / à rayures / noires ; cela dit il met énormément de Celio aussi, plus que de raison en tout cas – je ne le comprends que juste assez pour pouvoir lui voler ses plus beaux ensembles. Ça, et le fait que ma mère et moi déployons cette semaine tout notre potentiel de langues de putes envers le manque de politesse, d’efficacité et de bon sens élémentaires des employés divers, lui fournissent des prétextes pour justifier aux yeux de notre bien-aimée mère-poule son air de déprime. (Parce que contrairement à moi, petit frère a hérité de la profonde gentillesse de maman, tandis que j’ai obtenu la susdite langue de pute, et ne supporte pas que l’on dise du mal des gens.) Je suis sûr qu’il déprime : lui qui, déjà habituellement, est sujet à un perpétuel recroquevillement plutôt déroutant, que n’arrange en rien sa coupe à un œil, se montre très renfrogné depuis le repas de Noël ; quelque appel et caprice ou larme de sa copine lui aura porté le vague à l’âme – pas très longtemps heureusement. À noter que la fille en question est fan de Tokio Hotel ; il n’en résulte jamais rien de bon. Ou bien me trompé-je complètement et il est vraiment gay, après tout je ressemble autant à mon parrain qu’il ressemble à son mec, et alors cela explique tous ses transports pour les chanteurs emo bien plus clairement.
Le dîner de Noël aurait de toute façon déprimé n’importe qui, même si la bouffe est ici plutôt bonne (si l’on excepte évidemment ces fruits qui ont l’apparence du melon, la consistance de la pêche et la saveur exacte du vomi, mais que l’on rencontre de toute façon au moins une fois par hasard, par inadvertance et par séjour dans un pays tropical), et bien que la farandole de renforts de serveurs en livrée rouge pour l’occasion suscite chez moi un amusement certain. Le petit orchestre s’apprête à m’ennuyer de nouveau, je sens que je vais entendre Besame Mucho une troisième fois… Et mon éromène est beaucoup moins joli avec des vêtements. Tout m’afflige, etc. (Je suis là de fort mauvaise foi mais la mort de Julien Gracq, et son timing désastreux aussi bien pour les fêtes que pour les concours, m’a laissé un goût amer, et aucun foie gras pour me l’enlever.) Ce dîner aura au moins eu le mérite de voir arriver une famille de scandinaves : deux fils aux attitudes de footballers ; l’aîné, blond – encore – a des cheveux superbes bien que courts, une cravate à damiers qui fait pâlir mon frère, et une coupe risquant de dégénérer en mulette du pauvre mais pour l’instant très savoureuse. Ils sont laids, par contre. Le lendemain, je les rencontre au bord de la piscine: la désillusion est vite réparée par les lunettes de soleil, qui font parfaitement illusion.
Amusant d’ailleurs de constater combien des Ray Ban ou des Dior rendent la plupart des gens hautement regardables. Les miennes ne me servent que pour maintenir mes cheveux en arrière, pour faire bronzer le front – et oui, pour sécher l’acné. Aux côtés de tant de laids, je me sentirais beau. Je méprise à tour de bras, avec mon jus de citron. Il faut dire que je suis sur Le Rouge et le Noir, et qu’outre la prose de Stendhal que je n’aurais pas assez de prose pour décrire, Mathilde de la Mole réveille en moi toute la Narcissa Malfoy que les fanfictions recréèrent : je me sens très aristocrate. J’en vouvoie Mère.
Il vaut mieux pour tout le monde que le soleil demeure, y compris pour nos hôtes, qui sont parvenus à paraître mille fois plus pitoyables et risibles qu’à l’ordinaire lors d’un court passage de pluie. Je ne détaillerai pas tout le déconcertant de leurs manières lorsqu’ils laissent les transats se tremper et pensent les faire sécher ensuite en tapant dessus. Mais la panne d’électricité qui survint quelque trois heures après la fin de cette averse même pas tropicale nous donna l’occasion de faire la connaissance d’un électricien très singulier, qui fut charmant, beau, et dont l’anglais pour une fois parfait s’agrémentait d’une voix et d’un accent identiques à ceux de Mohinder Suresh ; ce qui fit presque oublier qu’il était venu en expliquant la panne par l’infiltration de l’eau de pluie dans les circuits électriques, fait assez peu rassurant somme toute pour un cinq étoiles – qui décidément ne les mérite pas.
Mais pluie ou pas, après cinq coupes de champagne, je suis toujours fort triste de n’avoir personne à caresser et à qui dire je t’aime. Stendhal décharge ces transports. Et si ma prose est véritablement loin de valoir ses mots, elle n’a guère à apprendre de celle de Nerval: je lis Les Filles du Feu sur le retour, et après ceux de Richard Marienstras et Tristan L’Hermite, c’est de ceux que je connais le livre le plus navrant et le plus ennuyeux.
À part ça, les avions de Emirates sont fantastiques, il y a notamment un choix prodigieux de films dont on peut contrôler le déroulement par écran tactile (ce que je n’avais jusqu’alors jamais cru envisageable en vol) : avec High School Music Hall 2 à l’aller et Hairspray en rentrant, je suis doublement fou amoureux de Zac Efron.
10 commentaires:
Pompeux et joli. Et une fois que j'ai admis ce texte était pompeux, j'ai pu libérer toute ma jalousie et t'envier en toute sérenité. Ca se voit qu'on te fait lire, boudiou, et que tu maîtrises de mieux en mieux en mieux en mieux.
Ouais voilà, tu maîtrises, et du coup le côté snob sarcastique marrant dont tu as de toute façon conscience ne fait que rajouter du charme à l'ensemble.
Bisous, Jilianichon!
En français comme en allemand c'est Tadzio ou Adgio au début quand il se trompe, sale inculte ! TU M'DÉGOÛTES !!!
Et ne prétexte pas une originalité de ta part, je te détesterais encore plus.
Et sinon OUI, j'ai compris toutes tes références, dans ta face ! Moi aussi je regarde Heroes, et ouais mec !
Ah oui et au fait je te souhaite une année avec de la merde aux quatre coins ! Immonde pouf.
Il est bien surexcité le Ewan, comme d'hab '^^ C’est pas toi qui m’avait dis qu’il s’était calmé ? :p Qu’est-ce que ça devait être avant ‘^^
Mais siii regarde bien, ça se voit trop qu'il le fait exprès pour me faire plaisir ! Il est trop mignon, je l'aime.
Władzio, (Wladyslaw), “Adgiou”, avec un ou prolongé à la fin, ou Adzio...^^
(Ben, oui, en fait, Ewan est juste jaloux, mais il t'aime c'est flagrant.)
Joli passage, d'ailleurs, la scène de l'eau (O), de l'effleurement à l'orgasme.
"Mais siii regarde bien, ça se voit trop qu'il le fait exprès pour me faire plaisir ! Il est trop mignon, je l'aime."
Ça me fait un peu mal d'être démasqué comme ça, devant tout le monde, en plein jour LCD. Je me sens violé au plus profond de mon être nu mais riche. C'est un peu comme si j'avais été déshabillé sur une estrade, étendu sur le dos, devant une foule, et toi Jilian à cheval sur moi, les cheveux au vent, me chevauchant comme on chameauche un dromadaire, en sueur, t'éclatant le cul avec joie sur mon sexe étranglé, et donc forcé à la turgescence, dégoulinant de merde sur les flancs : la panacée romantique, Lawrence of Arabia, un viol pur et simple.
Je me sens sali.
(et je précise que le caca susmentionné n'y est pour rien !)
Je vous prie d'un peu moins bien me connaître.
Gnihiiii si c'est pour lire des commentaires comme ça ensuite, j'encourage tout le monde à le faire, allons-y gaiement \o\/o/
Ouhlà Blacky il faut que t'arrêtes de lire du Poppy, tu donnes libre cours à des tendances curieuses
C'est pas parce que j'ai lu "scrotum de cadavre qui éclate avec un bruit de bulle adorable" une fois dans ma vie que je vais devenir nécrophile Jilianichon mon ami <3 (quoique... Miom miom)
Non c'est juste que quand c'est la classe il faut le dire, et là c'est la classe, j'adore, je jouis, ah! <3
(And I mean it!)
OO pourquoi tant de haine pour Poppy, elle m'a tant fait rêver, que le délire de cet amant virtuel "Erwan" me propose un revirement de situation:
"Je me sens violé au plus profond de mon entraille pourri par un excés de richesse. C'est un peu comme si on m'avait arraché avec brutalité mes vêtements sur une scéne, étendu et bailloner sur le dos, devant une foule de pervers yaoiste, et toi Jilian à cheval sur moi, les cheveux au vent,moi au sol attacher,toi me chevauchant avec violence et brutalité comme on dresse un cheval non sevré, en sueur et en sang, t'éclatant le cul avec joie et délicatesse sur mon sexe étranglé et noirci, et donc forcé à la turgescence et le sang facilitant la progression, dégoulinant de toute substance sur les flancs : la panacée romantique, Lawrence of Arabia, un viol pur et estatique, redonnant un air au sadisme du Marquis de Sade, entre scatophilie et perversion exquise"
Léger clin d'oeil au "Corps Exqui" mais toujours pas digne du Coeur de Lazare....
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